Cité Blanche Gutenberg

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De la boue du bidonville au chemin caillouteux de l’instruction

Qu’il est loin le temps de mon enfance. Cette période si chère à mon cœur fait partie de mon histoire. Beaucoup d’années se sont écoulées mais je n’ai rien oublié. Surtout ces soirs d’hiver où, dans la cour à peine éclairée, transie par le froid, je faisais la vaisselle du diner.

J’avais toujours le même mot qui me sonnait en tête, au rythme de cette vaisselle qui s’entrechoquait dans l’eau glacée... « Pourquoi ! Pourquoi ! Pourquoi ! » … Lors de ce moment de vaisselle, tel un moment philosophique où l’on réfléchit à l’existence, j’essayais de trouver une réponse à cette vie de misère.

Oui...Pourquoi de l’autre côté de la rue, les familles habitaient de véritables maisons, bien au chaud, préservées du froid glacial ? Et nous...Pourquoi étions-nous là sur ce terrain vague, dans ces baraques ?  Je voulais trouver la réponse à ma question. C’est à ce moment-là que, dans ma caboche de petite fille,  j’ai réalisé que seule l’instruction pouvait faire sortir de cette boue.

Je me disais souvent « si Dieu me prête vie, moi Rekia, fille du bidonville, que je me marie et que j’ai des enfants, je ferai tout pour les aider à s’instruire afin qu’ils ne connaissent jamais la vie des taudis. »

Pour ma part, j’ai profité au maximum du temps de mes courtes études car, malheureusement, je fais partie de cette génération très lointaine pour laquelle il était considéré que l’instruction n’était pas nécessaire pour les filles. Il fallait seulement qu’elles sachent s’occuper de la maison, du mari et des enfants.

Après le bidonville et la cité de transit, je me suis mariée et nous vivions désormais dans une HLM. En quelques années, j’ai eu cinq enfants. Je me suis toujours organisée pour être présente aux cotés de mes enfants. Je leur consacrais toute mon énergie.

De la maternelle à l’école primaire, j’étais de toutes les sorties comme accompagnatrice. C’était très intéressant. Pour le collège et le lycée, les difficultés s’installèrent, il fallait trouver du temps, énormément de temps.

Je me revoie encore courir dans les couloirs de l’établissement comme si j’avais voulu ralentir le temps pour pouvoir discuter avec tous les professeurs pendant les réunions car j’avais conscience que ces rencontres parents-professeurs étaient cruciales et déterminantes dans le cursus de l’enfant.

Je reconnais que je n’ai pas été facile à vivre à cette époque. Je ne laissais rien passer ni un mot sur le cahier, ni une mauvaise note. J’étais devenue un vrai gendarme !

Les devoirs écrits, les leçons, tout était surveillé. Notre vie s’écoulait planifiée par rapport aux études des enfants.

J’ai eu des moments de doutes, des moments où j’ai failli baisser les bras mais les images du bidonville me revenait à l’esprit. Je me reprenais en me disant « il faut continuer à les soutenir ». Avec mes cinq enfants la tâche était dure, fille ou garçon, pour moi chacun devait avoir sa chance.

Si à chaque porte que j’ai poussée et à chaque rendez-vous que j’ai pris pour leurs études, j’avais obtenu un euro, je serais millionnaire pour ne pas dire milliardaire !

J’ai très souvent entendu des phrases qui m’ont fait hérissée les cheveux sur la tête :

« les jeunes ne veulent pas étudier, ils ne sont pas motivés ! »

Mais comment être motivé si, pour telle ou telle raison, vous vous retrouviez dans une section qui ne vous intéresse pas ou qui ne vous convient pas ?  Je ne voulais pas que cela arrive à mes enfants mais comment les aider à sélectionner la voie qui leur convient, quand vous-même n’avez fait aucun cursus.  Alors j’ai lu maintes brochures du CIO (Centre d’Information et d’Orientation), j’ai acheté une multitude d’ouvrages sur les orientations.

Je me suis informée pour mieux les conseiller. Aussi, dans ces moments-là, ce qui est primordial c’est le dialogue instauré avec ses enfants.

Il fallait aussi trouver les options pour qu’ils aient toutes les chances de leurs cotés. J’avoue avoir été un peu perdue avec tout ce jargon scolaire « TSA productique », « TSP/IESP » etc. Heureusement, les précieux conseils de mon frère Madgid m’ont été d’un grand secours, je le remercie du fond du cœur. 

Après le lycée, ce fut les études supérieures. Je vous assure que j’en ai passé des nuits blanches à me poser de nombreuses questions : fallait-il les pousser autant ? J’étais de plus en plus stricte avec eux, allaient-ils le supporter encore longtemps ? Était-ce la bonne solution pour les motiver ? Malgré toutes ces questions, je savais que la présence parentale et le dialogue avec ses enfants,  ne pouvait être qu’un bien pour eux et pour nous, pour l’équilibre de la famille.

Ils grandissaient et leurs personnalités s’affirmaient. Ce n’était pas drôle tous les jours mais ils étaient studieux, cela me rassurait. Je les voyais l’un après l’autre réussir leur bac et suivre le chemin des études supérieures. Le choix était tellement vaste « IUT », « classes préparatoires », « facultés des sciences ».  Je ne voulais pas que le train de la réussite scolaire oublie un de mes enfants sur le quai de la gare. Alors de nouveau je reprenais mon courage à deux mains. Je les ai accompagnés à de nombreuses portes ouvertes, nous avons regardé, écouté et après la visite tout était mis sur la table les points forts comme les points faibles. Fort de tout ce dialogue mon enfant prenait sa décision.

Je n’ai jamais laissé un de mes enfants s’égarer seul dans ces dédales « études supérieures ». Même si je n’avais pas toutes les connaissances, rien que le souvenir des années boueuses me donnait la force d’épauler ma progéniture.

Cette période de ma vie fut très pénible. N’ayant pas les moyens financiers pour leur payer des cours de soutien, j’ai vu mes enfants bloqués sur des devoirs  et se creuser la cervelle jusque tard dans la nuit. Au petit matin, les traits tirés, fatigués, ils reprenaient le chemin des cours. Ils continuaient à leur tour la bataille que j’avais commencée pour eux dès la maternelle.

Mon cœur pleurait de joie à chaque examen réussi, à chaque diplôme obtenu. Pour moi, c’était un pas de plus qui les éloignait du terrain vague, du bidonville.

Le chemin rocailleux que nous avons arpenté a été long et difficile mais nous l’avons parcouru main dans la main, grâce à Dieu et énormément de sacrifices.

A présent, mes enfants sont des adultes instruits, ils construisent leur vie en suivant leur propre chemin. Aujourd’hui, à l’aube de la retraite, je suis fière de ce que nous avons réalisé, mon mari et moi-même. Et nous sommes très fiers de nos cinq enfants.

Toutefois, je me pose une autre question…si j’avais vécu de l’autre côté de la rue, aurais-je eu la même hargne ? 

 

SOUNI Rekia



28/04/2013
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